

Publié en 1942, Al-Zawiya (La Zaouia) de Thami El Ouazzani est considéré comme le premier roman marocain écrit en arabe. À la croisée du récit autobiographique et du témoignage historique, cet ouvrage plonge le lecteur dans le quotidien de Tétouan sous domination espagnole. À travers une écriture immersive, l’auteur livre une fresque sociale et culturelle captivante, marquée par son parcours personnel et les bouleversements qui secouaient le monde arabe.
Paru aux éditions Rif Press à Tétouan, Al-Zawiya occupe une place unique dans le paysage littéraire marocain. Ce roman est bien plus qu’un simple récit personnel : il constitue une archive précieuse des réalités de l’époque coloniale. El Ouazzani y restitue avec finesse la vie quotidienne des habitants du nord du Maroc, les tensions politiques et les aspirations d’une population en quête de liberté.
L’auteur y raconte son enfance et sa jeunesse, dévoilant les traditions locales et les changements induits par l’occupation espagnole. La figure de la Zaouia, lieu d’apprentissage spirituel et intellectuel, occupe une place centrale dans son récit, tout comme les figures féminines qui l’ont profondément marqué.
Né en 1903 et décédé en 1972, Thami El Ouazzani est une figure intellectuelle incontournable du Maroc du XXe siècle. Historien, journaliste et écrivain, il a consacré sa vie à la défense de la culture et de l’éducation. Sans formation académique traditionnelle, il s’est forgé un savoir encyclopédique par la lecture et l’engagement personnel. Il a fondé un journal indépendant et joué un rôle majeur dans la création d’écoles pour promouvoir l’enseignement au Maroc.
Son engagement politique et intellectuel lui a valu d’être nommé doyen de la Faculté de Théologie de Tétouan dès sa fondation en 1963, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite. Il fut un fervent opposant au colonialisme, convaincu que l’émancipation passait par la connaissance et la préservation de l’identité culturelle marocaine.
Une mémoire historique et spirituelle
Dans Al-Zawiya, El Ouazzani évoque l’influence spirituelle du soufisme sur son parcours, mettant en lumière l’importance des écrits d’Ibn Arabi et d’Ibn Ajiba dans sa formation intellectuelle. Son roman s’inscrit ainsi à la fois dans une tradition mystique et dans une démarche documentaire sur l’histoire du Maroc.
L’ouvrage ne se limite pas à une simple introspection. Il s’ouvre à une réflexion plus large sur les bouleversements du monde arabe, notamment après l’effondrement du califat ottoman et les conséquences des accords Sykes-Picot sur la région. L’auteur analyse avec acuité l’ingérence des puissances étrangères et leurs répercussions sur les peuples arabes.
Malgré l’importance historique de Al-Zawiya, sa publication initiale a souffert des restrictions imposées par la Seconde Guerre mondiale, notamment l’usage d’un papier de qualité médiocre. La revue Daouat Al-Haq, sous l’égide du ministère des Habous et des Affaires Islamiques, a plaidé pour sa réédition afin de lui redonner toute sa valeur patrimoniale.
L’œuvre d’El Ouazzani ne se limite pas à Al-Zawiya. Parmi ses autres publications majeures figurent Histoire du Maroc (1940), Au-dessus de la selle (1943) et Le Voyage rapide (1958). Ces ouvrages témoignent de son engagement pour la transmission de l’histoire et de la culture marocaines aux générations futures.
En 2024, le Prix Katara du roman arabe a consacré Thami El Ouazzani comme Personnalité de l’année, reconnaissant ainsi son apport inestimable à la littérature arabe. Une exposition retraçant son parcours et son influence a été organisée, accompagnée d’un colloque sur l’évolution du roman marocain. À travers son œuvre et son engagement, Thami El Ouazzani demeure un pilier du paysage littéraire marocain. Son roman Al-Zawiya continue de résonner aujourd’hui, non seulement comme un témoignage du passé, mais aussi comme une source d’inspiration pour les écrivains contemporains du monde arabe.